Vol 714 pour Sydney

 

Crayonné de la planche 52 de Vol 714 pour I Sydney.

 

 

Retour à la grande aventure avec Vol 714 pour Sydney: détournement d'avion, sérum de vérité, trahison, bagarres, explosions, grotte mystérieuse, éruption volcanique et même soucoupe volante, rien ne manque à ce récit qui évoque, par certains traits, les films de James Bond.

 

Le désir de renouvellement

 

«Chaque histoire doit être une aventure nouvelle, surtout pour moi! », expliquait Hergé à Numa Sadoul. Et effectivement, Vol 714 pour Sydney représente, une fois encore, une nette tentative de renouvellement de l'univers tintinesque.

 

Loin des cimes éthérées du Tibet, loin des vaudevilles castafioresques, se joue une aventure qui, au premier regard, semble renouer avec le romanesque le plus trépidant, n faut remonter aux Cigares du Pharaon ou à L'Oreille cassée pour trouver un récit où les événements soient aussi nombreux et aussi spectaculaires.

Pourtant, ce n'est certainement pas un retour à l'aventure traditionnelle qui s'opère avec cet album. Les bijoux de la, Castafiore ont été beaucoup plus qu'un intermède. Il serait impossible pour Hergé de revenir au premier degré de ses débuts. Le travail de démystification entamé dès Coke en stock continue de s'amplifier.

 

Dans Vol 714, ce sont surtout les « mauvais » qui font les frais de la parodie. Quelque crapuleux qu'ils s'efforcent de se montrer (et avouons que Rastapopoulos se donne ici un certain mal), ils se révèlent surtout, dans cet épisode, comme d'authentiques spécimens de minables.

 

« En cours de récit, explique l'auteur, je me suis rendu compte qu'en définitive Rastapopoulos et Allan n'étaient que de pauvres types. Oui, j'ai découvert ça après avoir habillé Rastapopoulos en cow-boy de luxe : il m'est apparu tellement grotesque, accoutré de cette façon, qu'il a cessé de m'en imposer!

 

Les « méchants » ont été démystifiés : en définitive, ils sont surtout ridicules, pitoyables. Vous voyez, c'est là que j'ai évolué. D'ailleurs, ainsi déboulonnés, mes affreux me paraissent un peu plus sympathiques: ce sont des forbans, mais de pauvres forbans... (Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, éditions Casterman, 1983, p. 48.)»

 

Face à ces « pauvres forbans » se tient un nouveau personnage, que Tintin appellera bientôt, avec un humour délicieux, «ce pauvre milliardaire», n s'agit de Lazlo Carreidas, constructeur d'avions, industriel travaillant dans la laine, le pétrole et l'électronique, fabricant du Sani-Cola («une boisson très saine, à la chlorophylle»), célèbre sous le surnom de « lliomme-qui-ne-rit-jamais».

 

Voleur, menteur, tricheur, avare, ingrat, teigneux, d'un égoïsme qui dépasse tout entendement, Lazlo Carreidas est le parfait pendant de Rastapopoulos; il est aussi douteux comme personnage de «bon» que l'autre est discutable comme prototype de «mauvais ». Au cours d'une scène épique, les deux hommes s'affronteront, sous l'action du sérum de vérité, pour savoir lequel d'entre eux est le véritable Génie du Mal.

Le temps du manichéisme est bel et bien fini.

 

Ce serait toutefois manquer de lucidité que de ne pas percevoir les ambiguïtés de ces tentatives de renouvellement: en s'efforçant de rendre plus subtil son univers, en éliminant les certitudes sur lesquelles il s'était fondé, Hergé est en train de saper les bases mêmes de sa création. Le jeu de massacre auquel il se livre ne laissera indemne rien ni personne et surtout pas les Aventures de Tintin.

 

Cette dimension autodestructrice est encore latente dans Vol 714. Tintin et les Picaros la rendront explicite. Après Les bijoux de la Castafiore, le monde d'Hergé commence à s'en aller par morceaux, tout comme se défont les visages d'Allan et Rastapopoulos, l'un perdant son dentier et l'autre se couvrant de bosses ridicules.

 

Quoiqu'il s'en défende, Hergé n'a plus, à l'époque de Vol 714, la même foi en son univers qu'à l'époque des 7 boules de cristal, lia prise de conscience a été trop loin pour qu'il lui soit possible de raconter vraiment au premier degré; sans doute rêve-t-il parfois d'une bande dessinée plus adulte, correspondant mieux à celui qu'il est devenu.

 

«Peut-être vais-je changer, confiait-il à Numa Sadoul. Peut-être me mettrai-je un jour à la bande dessinée, disons plus «philosophique», genre «Peanuts» ou «B.C.»... A l'heure actuelle, il faut le dire, le côté « aventures » me paraît un peu infantile par rapport aux choses que je voudrais exprimer (Entretiens avec Hergé, op. cit., p. 46.). »

 

Sur la piste du mystère

 

Ces préoccupations plus «philosophiques», la fin de Vol 714 permit pourtant à Hergé de commencer à les aborder.

 

Passionné depuis des années par les phénomènes paranormaux, le dessinateur avait lu les livres de Charroux, ainsi que Le matin des magiciens, le célèbre ouvrage de Pauwels et Bergier.

 

Une lecture qui avait dû le frapper, puisque c'est précisément ce Jacques Bergier qui servit de modèle à Mik Ezdanitoff, « l'Initié » qui communique télépathiquement avec nos amis et affirme être en contact régulier avec les voyageurs de l'outre-Terre.

 

Ces extra-terrestres, Hergé prend bien soin de ne jamais nous les montrer, de même qu'il s'était évertué à ne pas nous présenter l'ombre d'un sélénite au cours de l'expédition lunaire. S'il fait apparaître une soucoupe (et comment aurait-il pu l'éviter?), il ne nous en expose pas l'intérieur et se garde bien de faire intervenir le moindre petit bonhomme vert à mandibules. Une seule preuve de la réalité de l'aventure subsistera, vestige aussi minimal que troublant: le morceau de métal inconnu que Tournesol découvre dans sa poche.

La scène finale est savoureuse à souhait. C'est en effet par l'intermédiaire de la télévision, ou plutôt de la famille Lampion en train de la regarder, que nous découvrons la conclusion de l'épisode. Impossible d'imaginer plus grand contraste qu'entre le mystère d'éventuels autres mondes habités et la platitude des propos de l'assureur, plus terre à terre que jamais.

 

Cinq essais de couverture  l'album.

 

 




 

 

Étude pour le poste de pilotage du Carreidas 160.

 


 

Crayonné de la planche 58 de Vol 714 pour Sydney.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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