Jo, Zette et Jocko
Projet de couverture dessiné en 1938 pour Le Rayon du mystère. L'histoire ne fut finalement publiée en album qu'en 1952.
Le Rayon du mystère
Commandée par les responsables de Cœurs vaillants, la série des Jo et Zette n'enthousiasma jamais Hergé. Le premier épisode, Le Rayon du mystère, est un prolongement de la tradition du roman populaire en même temps qu'une anticipation de James Bond.
Un travail de commande
A l'inverse des autres séries réalisées par Hergé, Les Aventures de Jo, Zette et Jocko ne tirent pas leur origine d'une initiative personnelle mais bien d'une sorte de commande. Ce sont les responsables de l'hebdomadaire français Cœurs vaillants - dans lequel Tintin était repris depuis des années - qui suggèrent à l'auteur de mettre sur pied de nouveaux héros.
«A la direction de ce journal, on m'avait tenu à peu près ce langage: "Vous savez, votre Tintin, ce n'est pas mal, on l'aime bien. Mais voilà: il ne gagne pas sa vie, il ne va pas à l'école, il ne mange pas, il ne dort pas... Ce n'est pas très logique. Ne pourriez-vous pas créer un petit personnage dont le papa travaille, qui a une maman, une petite sœur, un animal familier?"...
J'avais à ce moment-là des jouets chez moi pour un travail de publicité et parmi eux un singe appelé Jocko. Et j'ai donc fondé, à partir de ce Jocko, une petite famille nouvelle, vraiment pour répondre au souhait de ces messieurs de Cœurs vaillants en me disant qu'ils avaient peut-être raison. » (Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, p. 70.)
D'entrée de jeu, Hergé se sentit un peu mal à l'aise dans cette série, étant donné la précision des exigences auxquelles il devait se conformer et le caractère artificiel de la structure générale. Alors que les Aventures de Tintin se développaient de façon tout intuitive album après album, l'auteur ajoutant de nouveaux personnages au moment où le besoin s'en faisait sentir, il lui fallait ici donner naissance d'un seul coup à toute une galerie de héros.
« II a d'abord fallu donner un métier au papa, un métier qui l'amène à voyager: bon, ingénieur, ça pouvait aller, mais en plus de cela, ce papa et cette maman passaient le plus clair de leur temps à sangloter et à s'interroger sur le sort de leurs pauvres enfants qui disparaissaient dans toutes les directions. Il fallait donc faire voyager toute la famille: c'était harassant!... Tintin, lui, au moins, est libre! Heureux Tintin!... ça me rappelle le mot de Jules Renard: "Tout le monde ne peut pas être orphelin!"» (Numa Sadoul, op. cit., p. 70-71.)
Malgré son peu d'enthousiasme, Hergé réalisa trois épisodes de cette série, les deux premiers ayant été ultérieurement divisés pour la parution en album.
L'héritage du roman populaire
Le Rayon du mystère commença à paraître dans Cœurs vaillants le 19 janvier 1936. La publication de l'histoire s'y poursuivit en deux couleurs (rouge et noir) jusqu'en juin de l'année suivante. Cette première aventure de Jo et Zette fut reprise dans Le Petit Vingtième avec quelques mois de retard, mais ce n'est qu'en 1952 qu'elle se trouva pour la première fois éditée sous forme d'album.
Le récit, qui touche à la science-fiction par plusieurs de ses aspects, enchaîne avec une certaine rapidité des éléments des plus conventionnels. Savant fou, robot incontrôlable, repaire sous-marin, cannibales crédules et explosion finale, il est peu de clichés du roman populaire que l'on ne retrouve dans cette histoire, cependant que la structure narrative évoque fortement celle des films de James Bond! Quant aux personnages, ils sont à ce point stéréotypé qu'il nous est bien difficile de nous soucier de leurs malheurs.
La lecture de cette histoire montre, si c'était nécessaire, que les réussites d'Hergé sont directement liées à son implication dans un sujet. Popol et Virginie nous avaient déjà fait voir que, sitôt qu'il se désintéressait de ses héros, le récit versait dans la banalité. Ici encore, on sent que, quoique l'auteur cherche à faire profiter l'histoire de l'expérience technique acquise en dessinant Tintin, il ne se passionne à aucun moment pour ce qu'il fait, n'y introduisant dès lors aucun élément étonnant et aucune préoccupation personnelle.
Beaucoup plus qu'au Lotus bleu ou à L'Oreille cassée, Le Manitoba ne répond plus et L'Éruption du Karamako font penser à ces fastidieuses bandes dessinées «à la Hergé» apparues depuis la récente mode de la Ligne claire. Le dessin ressemble à du Tintin, les personnages et les situations évoquent parfois ceux de Tintin, et pourtant il n'existe peut-être rien de plus fondamentalement différent des Aventures de Tintin. C'est de la bande dessinée du bout des doigts, sans force, sans grâce et sans audace.
Deux couvertures réalisées pour l'hebdomadaire Tintin pendant la republication du Rayon du mystère.
Planches de publicité pour les bonbons au miel Antoine. Ces six pages, ni datées ni signées, furent probablement dessinées par Hergé peu avant qu'il n'entame la série des Jo et Zette.
Le Stratonef H 22
Dessinés de 1937 à 1939 pour l'hebdomadaire Cœurs Vaillants, les deux albums qui composent Le Stratonef H 22 - Le Testament de M. Pump et Destination New York - constituent le second volet de cette saga des Jo et Zette dont on a vu à quel point elle suscita peu l'enthousiasme d'Hergé.
La première scène est éblouissante ; elle ne déparerait pas les meilleurs volumes des Aventures de Tintin. En quatre pages, Hergé offre un raccourci de la carrière de l'extravagant John Archibald Pump, ce milliardaire américain obsédé par la vitesse qui, en toute bonne logique, trouvera la mort dans un accident de voiture, «à 248 km à l'heure».
Les cent planches qui suivent sont, hélas, beaucoup plus conventionnelles. Elles voient deux groupes de personnages s'affronter pour obtenir l'héritage de M. Pump, destiné «aux constructeurs de l'avion qui aura, le premier, réalisé le raid New York-Paris ou vice-versa, sans escale, à une moyenne de 1000 km à l'heure».
Le thème est classique : c'est celui de nombreux contes de fées et du roman de Jules Verne intitulé Le Testament d'un excentrique. Le problème est qu'Hergé, manifestement peu inspiré par le sujet, ne le renouvellera guère et que les tribulations héroïques des deux enfants pour déjouer les manœuvres lamentables des ennemis de leur père nous lassent assez rapidement.
Le récit est d'ailleurs truffé de gags sans grand rapport avec le thème central, comme si Hergé, lui-même peu convaincu par ce qu'il raconte, profitait de la moindre occasion pour digresser.
Il n'en reste pas moins que cette histoire, comme la plupart des ouvrages mineurs d'Hergé, constitue une excellente occasion d'observer la technique narrative de l'auteur.
Puisque la machinerie tourne quasiment à vide, la mécanique est plus visible que jamais et ses rouages peuvent être étudiés sans peine. Le découpage, surtout, est souvent d'une extrême habileté, multipliant ellipses et parallélismes avec une audace dont pourraient encore tirer profit bien des bandes dessinées pour enfants.
L'une des rares couvertures dessinées par Hergé pendant la republication dans Tintin du Stratonef H 22. Il se passionna si peu pour ce récit qu'aucun document, aucune esquisse et aucune anecdote ne s'y rattache.
Fichier PDF : Hergé - les bonbons au miel Antoine