Les Cigares du Pharaon

 

Avec Les cigares du Pharaon, le roman policier et le mystère font une entrée en force dans la série. Quintessence du feuilleton, cet album voit aussi apparaître ces personnages hauts en couleur que sont les Dupondt et Rastapopoulos.

 

Découverte du romanesque

 

A la fin de Tintin en Amérique, le voyage de retour du héros n'était évoqué qu'en deux ou trois images. Le récit des Cigares du Pharaon, à l'inverse, n'est rien d'autre qu'une longue parenthèse au milieu du périple qui, emmenant Tintin en Extrême-Orient, trouve son aboutissement avec Le Lotus Bleu.

 

Tout commence par un parchemin qui s'envole et un égyptologue particulièrement distrait (première des nombreuses anticipations de Tournesol que proposeront les albums d'avant-guerre). Et d'emblée, le lecteur se trouve plongé dans le plus romanesque des climats, entraîné sans attendre de péripétie en péripétie.

 

C'est qu'avec l'aventure qui commença à paraître dans Le Petit Vingtième, le 8 décembre 1932, Hergé inaugurait un nouveau style de récit. Après trois albums centrés sur l'exploration méthodique de pays (ou du moins de phantasmes de pays), l'auteur avait fait le tour de l'imaginaire politique de son temps.

 

La Russie bolchevique, la glorieuse colonisation et l'angoissant machinisme américain étaient les éléments qui, à l'époque, occupaient le plus les esprits. Y ayant tour à tour confronté son héros, Hergé éprouvait cette fois le besoin de se tourner vers des horizons plus romanesques.

 

«Je voulais m'engager dans le mystère, le roman policier, le suspense, et je me suis si bien emberlificoté dans mes énigmes que j'ai bien failli ne jamais m'en sortir!

 

C'est d'ailleurs à cette époque que Le Petit Vingtième a commencé la publication d'un jeu-enquête, parallèlement à mes histoires : les lecteurs devaient découvrir des solutions aux énigmes posées par Tintin. Et si ça m'apportait des idées, ça me permettait aussi de déconcerter le lecteur (Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé, Éditions Casterman, 1984, p. 99). »

 

Les plaisirs du feuilleton

 

Construits semaine après semaine, sans l'ombre d'un plan ou d'un scénario préalable, Les Cigares du Pharaon représentent la quintessence du récit feuilletonesque. On y retrouve de nombreux thèmes clés du roman populaire : mystérieuse malédiction, redoutable société secrète, indémasquable génie du Mal, sans oublier le poison qui rend fou et les trafics de toutes sortes.

 

Tout cet attirail mythologique est manié par Hergé avec infiniment de légèreté, beaucoup d'humour et une visible jubilation. L'auteur vient de découvrir les possibilités du romanesque et ne cesse de s'en amuser, lançant d'innombrables pistes sans vraiment se préoccuper de la façon dont il retombera sur ses pieds.

 

Quoiqu'ayant été improvisée de bout en bout, cette histoire est la première, dans l'œuvre d'Hergé, à disposer d'un semblant d'unité narrative.

 

Ainsi que l'a fort bien noté Thierry Smolderen dans la pénétrante étude qu'il a consacrée à cet album (Thierry Smolderen, Les Carnets volés du Ma jor, Schlirf Book, 1983), on voit régulièrement réapparaître dans Les Cigares, derrière les péripéties les plus extravagantes, un même élément, insaisissable et omniprésent à la fois, qui, tel le furet de la célèbre ronde enfantine, n'arrête pas de courir d'un point à un autre.

 

Cet élément qui ne cesse de «s'insinuer dans les replis du récit et sauter d'un support à l'autre, du papyrus à une lettre, d'une bague de cigares aux arbres d'une forêt (Thierry Smolderen, op. cit., p. 3)», cet élément autour duquel tous les personnages n'arrêtent pas de tourner et qui paraît doté d'un si remarquable pouvoir, c'est bien sûr le signe du Pharaon Kih-Oskh.

 

Ce cercle traversé par une ligne serpentine et doublement ponctué est un peu le sceau qui, dès la couverture, marque Les Cigares du Pharaon; il est certainement pour beaucoup dans la fascination que continue d'exercer cette histoire.

 

Nouveaux personnages.

 

Les Cigares du Pharaon ne constituent pas seulement un captivant récit de mystère, c'est aussi l'album où apparaissent pour la première fois un certain nombre de figures clés de la série. Du reste, ce n'est assurément pas par hasard que, en même temps qu'il découvre les ressources du romanesque, Hergé commencent à élargir les dimensions de son univers.

 

À l'inventaire géographique qui caractérisait les trois premières aventures était liée la figure d'un héros unique et invincible. Au système narratif plus élaboré qui se met en place dès le quatrième album va correspondre une structure plus complexe où Tintin se trouve confronté à de véritables interlocuteurs. Ainsi que le note fort justement Jean-Marie Apostolidès :

 

«la personnalité héroïque de Tintin n'occupe plus tout l'espace du récit. À partir des Cigares, elle rétrécit considérablement ou se morcelle en plusieurs autres. Hergé donne à de nouvelles créatures le droit d'exister à côté de son héros (Jean-Marie Apostolidès, Les Métamorphoses de Tintin, Seghers, 1984, p. 86). »

 

 

Tintin prisonnier du tombeau de Kik-Oskh. Il n'est encore «qu'au début de ses aventures en Orient»

 

 

Le premier de ces nouveaux venus ne réapparaîtra que de manière très épisodique. n s'agit de l'inénarrable Oliveira de Figueira, « le-Blanc-qui-vend-tout» ainsi que l'appellent les hommes du désert. «Heureusement que je ne me suis pas laissé prendre à son boniment. A des gens pareils, on achèterait des tas de choses inutiles», déclare Tintin, en le quittant les bras encombrés d'objets de mille sortes.

 

La deuxième figure prendra au fil des albums de plus en plus d'importance, devenant peu à peu le principal adversaire de Tintin, celui qu'il retrouve perpétuellement sur son chemin.

 

Il s'agit bien sûr du sieur Rasta-popoulos, ce forban à la si honorable couverture de directeur de la «Cosmos pictures » qu'il faudra au héros près de deux albums pour découvrir sa véritable nature. Dans Les Cigares du Pharaon, Tintin est même si confiant, si séduit, qu'il va jusqu'à raconter ses malheurs à un Rastopopoulos compatissant.

 

La troisième entrée en scène n'est pas la moindre. Il s'agit de celle de ces deux détectives qui, dans la version noir et blanc de l'album, s'appellent encore X33 et X33bis, mais que chacun connaît aujourd'hui sous le nom de Dupond et Dupont. Ils prendront peu à peu tellement d'importance que nous aurons tout loisir de leur consacrer ultérieurement tous les développements qu'ils méritent.

 

Contentons-nous de rappeler, pour l'instant, que les deux policiers font montre dès leur première apparition d'un sens du devoir si poussé qu'ils n'hésitent pas à braver mille dangers pour éviter que ne soit fusillé le héros de la série. Pourquoi? Simplement parce qu'ils ont « reçu l'ordre d'arrêter Tintin, trafiquant d'armes, trafiquant de stupéfiants, et qu'un ordre c'est un ordre ! »

 

Une transformation étonnante.

 

Ce n'est qu'en 1955 que Les Cigares du Pharaon se trouvèrent mis en couleurs, il s'agit donc du dernier des albums d'Hergé à avoir connu cette mutation; c'est ce qui explique le soin avec lequel les transformations ont été faites et la modernité du graphisme de cette Aventure.

 

Outre quelques coupures, celle notamment de deux séquences mettant Tintin aux prises avec des serpents, Hergé procéda, en remaniant cet album, à un curieux changement de détail:

 

à la page 15 du livre, au moment où le Sheik Salaam Aleikùm annonce au héros qu'il est depuis des années un fidèle lecteur de ses Aventures, ce n'est plus Tintin en Amérique qu'il lui montre — comme c'était le cas dans la version noir et blanc — mais bien Objectif Lune, album qui est postérieur de près de vingt ans à l'élaboration des Cigares du Pharaon.

 

Que l'on imagine la stupeur de Tintin se voyant présenter une aventure qu'il est loin d'avoir vécue et qui est peuplée de personnages encore inconnus appelés Haddock et Tournesol. Et gageons qu'il devait en cet instant brûler du désir de faire connaissance avec sa future destinée, c'est-à-dire d'avoir le temps d'au moins lire l'album que le Sheik ne fait que lui présenter rapidement...

 


 

A n'en pas douter, c'est ce document qui fournit à Hergé I la plupart des éléments de la scène finale de l'album.

 

 


 

Le mystère Tintin: chaque semaine «Le Petit Vingtième» publiait les réponses des lecteurs aux énigmes qui leur avaient été soumises.


Avions ayant servi de modèle pour la scène de poursuite aérienne.

 

Tintin charmeur d'éléphants: l'un des hors-textes de la version originale des Cigares.

 

Tintin affrontant la mer et le désert : deux des hors-textes de la version originale des Cigares du Pharaon

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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