Le Harfang des neiges

photo d'un Harfang des neiges
Photo: Tom W. Hall

Le Harfang des neiges Nyctea scandiaca se reproduit dans les régions reculées de l'Arctique canadien. En hiver, il gagne diverses régions du sud du Canada, permettant ainsi à de nombreux Canadiens d'observer l'un des hiboux les plus impressionnants et les plus remarquables parmi les 146 espèces qui existent dans le monde. En décembre 1988, le Québec a choisi le Harfang des neiges comme oiseau emblème officiel de la province.

Répartition

Le Harfang des neiges se reproduit dans la toundra arctique de l'Eurasie et de l'Amérique du Nord. Au Canada, son aire de nidification englobe l'archipel de l'Arctique à partir de l'île d'Ellesmere au nord, jusqu'à la terre de Baffin à l'est, jusqu'à l'île Banks à l'ouest, et tout le long de la côte nord du Yukon au Labrador.

Quelques spécimens hivernent dans la région où ils nichent. Ainsi, on a observé le Harfang vers le milieu de l'hiver jusqu'à 82° de latitude nord sur l'île d'Ellesmere, où la nuit polaire dure 24 heures. Le Harfang des neiges migre aussi vers des lieux plus cléments, au sud de son aire de nidification. Il visite même régulièrement certaines régions de son aire d'hivernage, par exemple dans les prairies de l'Ouest canadien et les zones non boisées du sud de l'Ontario et du Québec ainsi que dans les régions limitrophes du nord des États-Unis, même si le nombre d'oiseaux varie d'une année à l'autre. On le voit moins fréquemment dans les autres sites d'hivernage, le long de la côte du Pacifique au Canada et dans le nord des États-Unis ou dans les provinces de l'Atlantique et les États de la Nouvelle-Angleterre. Dans ces régions, on peut observer de nombreux Harfangs au cours d'un hiver sans en revoir un seul pendant plusieurs années. Habituellement, les oiseaux nés dans l'année préfèrent ces secteurs moins fréquentés par leurs congénères adultes. Le Harfang a été aperçu jusque dans le centre de la Californie, au Texas et en Géorgie, mais on doit qualifier ces observations d'exceptionnelles.

Autrefois, on croyait que le Harfang migrait périodiquement, à savoir tous les trois ou quatre ans, lorsque la population des lemmings de l'Arctique atteignait un creux. Toutefois, une analyse récente des recensements d'oiseaux effectués à Noël indique que le nombre de Harfangs des neiges qui hivernent dans diverses régions d'Amérique du Nord connaît une fluctuation annuelle irrégulière.

Traits distinctifs et moeurs

Considéré comme le plus gros des hiboux de l'Amérique du Nord, le Harfang des neiges mesure presque 50 cm et, les ailes déployées, a une envergure de près de 1,5 m. La femelle est plus grande et plus lourde que le mâle (2,3 kg contre 1,8 kg en moyenne) à l'instar de la plupart des rapaces diurnes et des autres hiboux, mais à l'inverse de la majorité des autres familles d'oiseaux, une particularité qui a fait couler beaucoup d'encre.

Adulte, le mâle est presque entièrement blanc. La femelle adulte est plus sombre et arbore des plumes blanches striées de brun foncé. Les jeunes des deux sexes nés dans l'année ont un plumage plus fonçé que les adultes. Le mâle immature ressemble à la femelle adulte tandis que, vue de loin, la jeune femelle peut paraître gris foncé tant elle est striée. La couleur claire du plumage facilite le camouflage sur la neige, mais cet avantage disparaît en été. Quand le printemps approche et que le sol se découvre, les Harfangs se déplacent vers les amas de neige ou de glace pour s'y asseoir; nul ne sait vraiment s'ils le font pour tirer parti de leur coloration et se camoufler ou pour se tenir au frais.

Une épaisse couche de duvet, recouverte de plumes abondantes, isole tout le corps du Harfang, y compris les pattes et les doigts, ce qui lui permet de maintenir la température de son corps entre 38 et 40°C, même lorsque le thermomètre descend à -50°C. Par grand vent, le Harfang se blottit à terre derrière divers objets, comme un tas de pierres, une congère ou une balle de foin.

Les aigrettes semblables à des oreilles, caractéristiques de beaucoup de hiboux, sont atrophiées et pratiquement invisibles chez le Harfang des neiges, ce qui donne à sa tête son profil typiquement rond. Le bec noir est pratiquement dissimulé sous les plumes qui l'entourent. Les grands yeux jaunes sont encerclés de disques de plumes rigides qui réfléchissent les ondes sonores vers les oreilles situées immédiatement à l'arrière. Son sens de l'ouïe très développé aide le Harfang à déceler ses proies dans la pénombre, quand la vue est limitée.

Les yeux du Harfang ne roulent pas dans leur orbite, ce qui oblige l'oiseau à tourner la tête pour regarder sur le côté ou suivre un objet en mouvement. Ils renferment néanmoins plus de cellules visuelles que nos yeux et peuvent repérer de petits objets en mouvement de très loin. Comme chez les autres hiboux, le champ de vision des deux yeux, braqués vers l'avant, se chevauche largement. Cette vision binoculaire permet au Harfang de juger très bien les distances, facteur capital quand vient le moment d'attaquer une proie. Contrairement à ses cousins nocturnes, le Harfang des neiges chasse aussi bien la nuit que le jour. Une telle adaptation n'est pas surprenante quand on songe que, dans le cercle arctique, le soleil ne se couche jamais pendant presque toute la période de reproduction en été.

Quand il hiverne dans le sud du Canada, le Harfang des neiges affectionne les prairies, les marécages, les champs ou les rivages, autant d'habitats qui lui rappellent la toundra non arborée de son aire de nidification. Même si certains oiseaux errent en hiver, bon nombre d'entre eux établissent un territoire de chasse qu'ils défendront pendant deux ou trois mois.

Le Harfang des neiges passe une bonne partie de son temps juché sur un piquet de clôture, une meule de foin, un arbre, un bâtiment, les poteaux électriques ou tout autre objet offrant une vue bien dégagée. Il surveille constamment son territoire du haut de son perchoir, prêt à chasser un hibou importun ou à fondre silencieusement sur une souris ou une autre proie. La capture survient habituellement au terme d'un vol court partant du perchoir, mais le Harfang chasse également en vol, surtout dans la toundra arctique, se déplaçant lentement de 10 à 15 m au-dessus du sol, prêt à s'abattre sur une proie intéressante. Ses pattes puissantes aux griffes recourbées et noires, de 25 à 35 mm de long, réduisent rapidement à l'impuissance même la proie la plus grosse.

Le Harfang des neiges est un animal plutôt timide et silencieux, sauf pendant la nidification où il siffle, crie ou claque du bec pour chasser les intrus et n'hésite pas à piquer sur le téméraire qui voudrait examiner son nid.

Régime alimentaire

Bien qu'il soit assez rapide pour tuer des canards au vol, le Harfang des neiges préfère les petits mammifères. Dans l'Arctique, il mange des lièvres arctiques, des lagopèdes ou des oiseaux de mer lorsqu'ils sont disponibles, mais son mets favori demeure le lemming (genres Lemmus et Dicrostonyx). Ces rongeurs, qui ressemblent à de gros campagnols des champs, sont très prolifiques et leurs populations atteignent rapidement un sommet jusqu'à l'épuisement des réserves alimentaires. La famine, la maladie et les prédateurs déciment alors les lemmings si bien qu'ils semblent sur le point de disparaître. Ensuite, les populations de lemmings augmentent peu à peu jusqu'à une nouvelle explosion démographique, trois ou quatre ans plus tard. Ce cycle est synchronisé sur de grandes étendues de la toundra d'une superficie pouvant atteindre jusqu'à 2 500 km², ce qui a de lourdes conséquences sur la reproduction des Harfangs dans ces régions.

En hiver, le Harfang des neiges se nourrit surtout de petits rongeurs, surtout des campagnols des champs Microtus pennsylvanicus et des souris à pattes blanches ou sylvestres Peromyscus. Les hiboux qui passent l'hiver près des silos à céréales ou des dépotoirs peuvent vivre presque exclusivement de rats. Toutefois, le Harfang des neiges est un chasseur opportuniste et attrape des mammifères dont la taille varie de la musaraigne au lièvre et des oiseaux allant du bruant au canard et au faisan.

À l'instar des autres oiseaux de proie, le Harfang des neiges avale ses petites proies tout entières. Les sucs gastriques très puissants dissolvent la chair tandis que les os, les dents, la fourrure et les plumes indigestes sont comprimés en boulettes ovales que l'oiseau régurgite 18 à 24 heures plus tard. La plupart du temps, le Harfang régurgite du haut de son perchoir favori, au pied duquel on peut trouver des dizaines de boulettes. Les biologistes les analysent souvent pour déterminer la quantité et le type d'aliments consommés. Dans le sud du Canada, elles renferment très souvent la fourrure et les os de campagnols des champs et autres souris. Chaque oiseau doit capturer 7 à 12 souris par jour, soit jusqu'à 350 par mois, pour subvenir à ses besoins. La présence de grenaille de plomb dans les boulettes à l'automne et en hiver révèle que le Harfang ne dédaigne pas les canards blessés par les chasseurs.

Reproduction

Le Harfang des neiges, qui hiverne dans le sud du Canada et dans le nord des États-Unis, reprend le chemin du Nord en février ou mars vers son aire de nidification de l'Arctique. Les couples ou les petits groupes se forment parfois à cette occasion, et il arrive que l'on voie jusqu'à 20 Harfangs perchés à quelques centaines de mètres les uns des autres. La majorité d'entre eux auront regagné les régions boréales en avril.

Les Harfangs retrouvent leurs sites de nidification avant que la toundra se soit débarrassée de son manteau nival. Chaque couple occupe un territoire de 1 à 2 km² de superficie. Le mâle avertit de sa présence par un hululement puissant et n'hésite pas à s'attaquer à ses congénères par trop aventureux. Le Harfang fait habituellement sa cour au mois de mai. Il vole en battant exagérément des ailes et marche très droit sur le sol, devant la femelle, les ailes partiellement déployées. Il tient souvent la dépouille d'un lemming dans son bec durant ses démonstrations.

Le nid se résume à une petite dépression pratiquée dans le sol par la femelle et garnie de quelques plumes et d'un peu d'herbe ou de mousse. Il est de préférence situé sur une butte, une petite colline ou un autre endroit surélevé. Il s'agit en effet des seuls endroits dépourvus de neige quand débute la nidification, et ils ont l'avantage d'offrir une vue bien dégagée des alentours.

La reproduction du Harfang des neiges est intimement liée aux fluctuations des populations de lemmings dans les régions où il se nourrit surtout de ce rongeur. Quand les lemmings abondent, le Harfang pond jusqu'à 11 ou 12 oeufs. Quand ils se font rares, la femelle n'en dépose que quatre à sept dans le nid. Lorsque la population de lemmings atteint un creux, il arrive que le Harfang ne niche pas du tout ou se déplace de 50 à 100 km pour trouver un endroit où ils abondent.

La femelle reste seule à couver les oeufs et à protéger les oisillons. Comme il gèle souvent au début de la nidification, elle doit couver presque continuellement. C'est alors son compagnon qui la nourrit, en lui apportant des lemmings au nid. Le mâle se charge aussi de trouver la majeure partie de la nourriture des oisillons durant leurs premières semaines.

La femelle pond habituellement un oeuf tous les deux jours jusqu'à la fin de la ponte, mais la couvaison débute dès la ponte du premier. Les oisillons éclosent à intervalles d'environ 48 heures après une incubation de 32 à 34 jours. On trouve donc dans le nid des oisillons dont l'âge et la taille varient considérablement. Même si cette éclosion échelonnée résulte de la nécessité de commencer la couvaison dès la ponte du premier oeuf, elle permet également d'ajuster la taille de la couvée à la quantité de nourriture disponible. En effet, si les adultes ne parviennent pas à nourrir tous les oisillons, les plus jeunes et les plus petits qui ne peuvent se mesurer à leurs frères et soeurs plus âgés finiront par mourir de faim.

Les oisillons sont recouverts d'un duvet blanc, mais à celui-ci s'ajoute vite un duvet gris foncé qui vire presque au noir en l'espace de 10 jours. Les jeunes Harfangs quittent le nid à l'âge de 3 ou 4 semaines, bien avant de pouvoir voler. Cependant, s'ils se dispersent loin du nid, ils continuent d'être nourris par leurs parents. Les jeunes sont voraces et il faut environ 120 kg de nourriture, soit près de 1 500 lemmings adultes, pour alimenter une couvée de neuf oisillons jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de se débrouiller. Les jeunes atteignant l'âge de l'envol quittent leurs parents à 7 ou 8 semaines, quand le duvet foncé a été remplacé par le plumage immature. Le court été de l'Arctique tire alors à sa fin, et les jeunes Harfangs devront entreprendre sous peu leur première migration.

Obstacles à la croissance de la population

Le Harfang des neiges a peu de prédateurs. Durant la période de nidification, les oeufs et les oisillons laissés sans protection peuvent être attaqués par des labbes (oiseaux prédateurs au vol rapide ressemblant aux mouettes) ou par le renard arctique. Toutefois, l'adulte sait se montrer vigilant et est bien armé pour repousser ces attaques.

Même si le milieu dans lequel il vit est particulièrement rigoureux, en été comme en hiver, le Harfang des neiges s'y est magnifiquement adapté. Bien sûr, une pénurie de nourriture est toujours à craindre mais, par sa mobilité, l'oiseau aura vite fait de trouver une région mieux nantie. Quoique certains Harfangs immatures, donc inexpérimentés, qui s'écartent de leur aire normale d'hivernage puissent connaître la famine, c'est sans doute l'être humain qui laisse planer la plus grande menace sur ceux qui passent l'hiver dans les régions habitées. La collision en vol avec des lignes électriques, des clôtures de fil de fer barbelé, des automobiles ou d'autres structures est une cause de mortalité importante chez les Harfangs qui hivernent dans le sud du Canada. Autrefois, les chasseurs ont tué des Harfangs par milliers durant leurs vols en provenance de l'Arctique. Même si l'on en abat encore quelques-uns illégalement en hiver, la majorité des gens se contentent maintenant d'observer ou de photographier cet oiseau imposant et mystérieux.

Gestion

Bien que le Harfang des neiges ne soit pas protégé par la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, des règlements provinciaux et territoriaux en interdisent la chasse dans toutes les régions du pays. Le baguage à des fins scientifiques exige des permis spéciaux du gouvernement fedéral et des provinces. Le Service canadien de la faune ne poursuit pas de recherches intensives sur cette espèce, mais subventionne des projets sur l'écologie de l'Arctique qui comprennent l'étude des hiboux et aussi des recherches sur la biologie du Harfang en hiver.

Le Harfang des neiges constitue un maillon important dans la chaîne alimentaire de l'écosystème de la toundra et illustre admirablement bien une adaptation morphologique et comportementale complexe aux conditions très rigoureuses de cet environnement. Durant son séjour dans le sud, le Harfang des neiges peut jouer un rôle important dans la limitation naturelle de la population de rongeurs sur les terres agricoles.

Ouvrages à consulter

  • Godfrey, W.E. 1989. Les oiseaux du Canada. Éd. rév. Éditions Broquet, en collab. avec le Musée national des sciences naturelles. La Prairie (Québec).

 

Publié en vertu de l'autorisation du ministre de l'Environnement
© Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1974, 1979, 1980, 1989, 1994
No de catalogue CW69-4/46-1994F
ISBN 0-662-99457-4
Texte: Ronald D. Weir
Révisé par M. Ross Lein, en 1989
Photo: Tom W. Hall

 

 

 

 

 

 

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